Le 25 juillet 2025, le Gouvernement a posé sa pelleteuse sur le chantier de la formation professionnelle : « Plan d’amélioration de la qualité de la formation professionnelle et de lutte contre la fraude ».
Ambitieux sur le papier, ce plan prévoit 18 mesures clés destinées à révolutionner le secteur.
Mais au-delà des annonces, qu’en est-il vraiment sur le terrain ? Décryptage.
La formation professionnelle vit, depuis la montée en puissance du CPF, un paradoxe : jamais autant de financements publics n’ont été mobilisés, jamais la défiance n’a été aussi forte. Faux bilans de compétences, titres fantaisistes, centres « full distanciel » enseignant des gestes métiers… Les rapports de France Compétences et de la DGCCRF ont fini par convaincre les ministères du Travail, de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur qu’il fallait sortir l’artillerie lourde. D’où cette réforme choc bâtie sur quatre piliers :
La première onde de choc arrivera en octobre 2025 : un centre qui souhaite préparer un diplôme Éducation nationale ou Ministère du Travail devra présenter un dossier d’habilitation auprès du rectorat et/ou de la DREETS. Exit le « je déclare un CAP boucher en autodidacte ».
Les critères publiés (adéquation totale aux référentiels, encadrement qualifié, plateaux techniques disponibles et sûrs) laissent peu de place à l’improvisation.
Les contrôles réels débuteront en 2026 : les rectorats prépareront eux-mêmes leurs grilles dès cet automne.
Pour les centres solides, c’est une formalité plus qu’un obstacle, mais elle exige un dossier béton : référentiel couvert à 100 %, preuves d’équipements adaptés, taux de réussite cohérents avec les chiffres France Compétences, convention de partenariat avec les entreprises d’accueil.
Jusqu’ici, un OF pouvait vendre une formation certifiante payée sur fonds propres sans passer par Qualiopi. Cette brèche disparaît au premier semestre 2026. La logique est imparable : si un titre est enregistré au RNCP ou au RS, il ouvre un droit « social » pour l’apprenant ; la qualité doit donc être garantie. Les indépendants très spécialisés, les studios de coaching premium, les organismes para-universitaires devront donc passer sous le radar Qualiopi ou renoncer au mot « certification ».
Le référentiel Qualiopi 2.0 annoncera une série d’indicateurs supplémentaires : insertion des apprenants à six mois après la formation, taux d'accidents du travail des apprentis, taux de rupture, axes RSE et numérique. Impossible de se réfugier derrière un PowerPoint : il faudra des données chiffrées, sourcées et remontées dans un portail unique piloté par France Compétences.
Les CFA en particulier devront démontrer qu’ils anticipent la prévention des risques métier (EPI, gestes professionnels, tutorat renforcé).
Tous les audits (initial, surveillance, renouvellement) se feront in situ, avec présence du dirigeant. Les « cabinet-courtiers » d’auditeurs disparaissent ; chaque auditeur sera certifié selon un futur RS dédié à la conduite d’audit d’OF. Pour un réseau multi-sites, il faudra assumer le coût et l’organisation de visites physiques.
Le plan introduit aussi une **suspension immédiate du NDA** (numéro de déclaration d’activité) en cas de suspicion sérieuse de fraude. L’administration pourra bloquer temporairement l’activité de formation sans attendre la fin d’une enquête complète.
Ce mécanisme s’appuie sur la coordination entre OPCO, DREETS, Caisse des dépôts et France Compétences via un système d’alertes croisées.
Dans les exemples cités par l’administration, cela viserait par exemple un OF dont les taux de réussite affichés seraient incohérents avec son BPF, ou une école sans locaux proposant des CAP en ligne.
L’objectif affiché n’est pas de multiplier les suspensions, mais de pouvoir réagir vite face à des situations manifestement anormales et protéger les financements publics pendant l’instruction du dossier.
Le COFRAC reste le maître-d’œuvre de l’accréditation, mais il travaillera désormais en binôme avec France Compétences, qui obtient un droit de regard sur les pratiques des certificateurs Qualiopi.
Un canal de remontée unique pour les irrégularités : si un audit repère un faux taux d’insertion, l’alerte remontera immédiatement dans le système d’information partagé. Cette tour de contrôle croise déjà les bases OPCO, DREETS, CDC et DGCCRF ; elle pourra déclencher un contrôle ciblé, voire la suspension préventive du NDA.
Dans la pratique, cette suspension n’est pas une condamnation définitive : l’organisme pourra répondre aux observations et présenter des éléments correctifs. Les textes à venir devraient préciser le délai de traitement et les voies de recours.
La réforme impose de revoir sa vitrine commerciale. Les intitulés marketing flous n’auront plus droit de cité, Bachelor, MBA ou autres MSc…
Les taux de réussite, de présentation, de rupture ou d’insertion devront provenir des bases officielles. Chaque site web, chaque brochure devra mentionner ces chiffres et surtout les mettre en perspective : expliquer pourquoi un taux d’emploi à 65 % dans un métier en tension peut être un succès, démontrer que la progression salariale est réelle, contextualiser les publics accueillis.
Autant dire que la communication corporate va devoir troquer les superlatifs pour des preuves sourcées.
2025-2026 sera une période de transition, mais pas de sursis, les échéances arrivent vite :
Le plan a beau être clair dans ses intentions, tout n’est pas encore gravé dans le marbre. La mécanique française impose plusieurs étages législatifs :
Seule disposition déjà juridiquement actée : le décret du 6 juin 2025 autorise explicitement chaque certificateur, y compris l’Éducation nationale, à habiliter un organisme tiers pour former ou évaluer à sa place, à compter du 1ᵉʳ octobre 2025. Théoriquement, tout OF souhaitant préparer un diplôme national devrait donc détenir cette habilitation dès cette date.
Problème : le dossier de presse ministériel table sur un démarrage opérationnel… au second semestre 2026 ! Si les financeurs appliquent strictement le droit, certains CFA risquent de voir leurs contrats ou dossiers CPF bloqués dès l’automne 2025. Autant dire que la rentrée se jouera aussi dans les conversations entre OPCO, Caisse des dépôts et DREETS : lecture souple ou rigoureuse ? Personne ne veut d’un black-out, mais nul ne peut l’exclure.
Le terme « séisme » n’est pas exagéré, car ces mesures vont considérablement rebattre les cartes du secteur. Si vous êtes un organisme sérieux et structuré, ce plan représente une opportunité exceptionnelle : celle de vous démarquer par votre rigueur, votre transparence et vos résultats concrets.
À l’inverse, pour les organismes qui misaient sur la facilité ou la fraude, ce sera le grand ménage de printemps avant l’heure. On peut anticiper une baisse significative du nombre d’acteurs, mais également une hausse des exigences clients et des contrôles qualité.
En réalité, les organismes sérieux n’ont pas grand-chose à craindre : la plupart appliquent déjà ces bonnes pratiques (suivi des taux d’insertion, conformité des intitulés, pilotage qualité) depuis des années. La réforme vient surtout officialiser et généraliser ce que les acteurs rigoureux faisaient déjà, tout en fermant la porte aux pratiques borderline qui brouillaient le marché.
Dans l’histoire de la formation pro, 2025-2026 fera date : non parce qu’elle ajoute une couche de paperasse, mais parce qu’elle consacre le passage d’une logique déclarative à une logique de performance. Pour les organismes peu scrupuleux, la messe est dite ; pour les autres, c’est l’occasion de transformer la conformité en levier de confiance.
On a souvent comparé la précédente réforme (Qualiopi 2019) à un contrôle technique. La version 2025 ressemble davantage à un contrôle technique connecté : le véhicule reste le même, mais on installe des capteurs, on communique les données au constructeur et on prévient la panne avant qu’elle n’arrive.